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Le Rêve d'Abel Gance

Le Rêve d'Abel Gance

 

Que sait-on du Rêve d’Abel Gance ? De Gance, on connaît surtout ses élans romantiques, sa propension à dépasser la forme commune du cinéma à travers des fresques démesurées, telles La Roue (1923, près de 5h) et Napoléon (1927, plus de 7h, non en un, mais en trois écrans). On sait moins que ces projets, tout expansifs qu’ils soient, n’étaient conçus que comme des fragments, des éclats partiels d’un cinéma à venir. On sait encore moins que le pendant de ce rêve éveillé fut d’accumuler les films de papier, les songes non réalisés. C’est de cette matière-là, pleine de virtualités, qu’est fait Le Rêve d’Abel Gance. 

CINÉMA À VENIR

Conjugué au futur, au futur du passé ou au conditionnel, le cinéma virtuel trouve à se manifester dans des formes paradoxales et potentielles. Il s’épanouit dans des objets en cours de gestation : de l’esquisse à la ruine, du présage à la récollection. Le genre du court-métrage laborantin, dont ce film participe, est un de ses formats de prédilection : de La Folie du docteur Tube (1915) au cycle documentaire pris sur le vif des tournages (Autour de La Roue, 1922 ; Autour de Napoléon, 1926 ; Autour de La Fin du monde, 1931). Le film se montre au travail. L’infini des procédures et des gestes prime sur le produit fini. 

La mélancolie pénètre aussi ce cinéma des songes. Un lamento, un chant de la perte, émaille les déclarations du cinéaste à mesure qu’avancent les siècles et que les demandes faites aux écrans (dans sa prise en charge poétique, mystique, politique, scientifique du monde) semblent aller s’atténuant. C’est le “bureau des rêves perdus”. On glisse du rêve au révolu. L’élan du projet se pétrifie dans l’archive. Pourtant, par-delà la plainte que suscite le réveil, le rêve vaut surtout comme un appel, et une voie de métamorphose. 

“L’art d’écrire des livres n’a pas encore été inventé. Mais il est sur le point de l’être. Des fragments comme ceux-ci sont des semences littéraires. Naturellement, il peut y avoir parmi eux de nombreux grains morts, mais qu’importe, pourvu que quelques-uns lèvent !”, écrivait Novalis dans ses Grains de pollen (1797). Dans les pas du poète, Gance cherche une semblable germination. Si pour Novalis le livre à venir est plus qu’un texte, que la nature même fait ouvrage, il en est de même pour Gance du cinéma, qui surmonte et s’émancipe de l’objet film. On se prend à rêver d’un cinéma étendu aussi bien aux photogrammes qu’aux écrits (scénarios, lettres, déclarations), dessins ou appareils présents et futurs, jusqu’aux activités visionnaires du réel lui-même. “Cinéma vivant”, réclamait le symboliste Saint-Pol-Roux, dans un manifeste poétique dédié à Gance. 

Élodie Tamayo

Le Rêve d'Abel Gance
vidéo numérique - 10 min – 2024
 
Composé d’images et de musiques produites avec une intelligence artificielle, Le Rêve d’Abel Gance se propose d’explorer l’imaginaire poétique du cinéaste Abel Gance à travers sa maison-cristal, à la fois laboratoire, studio de tournage, espace neuronal. Inspiré par ses écrits sur le cinéma, le film conjugue une temporalité virtuelle qui nous permet d’imaginer les utopies et les rêves oubliés du cinéaste. L’archive est devenue spéculative, prolongeant à nouveaux frais les promesses du septième art.
 
Conseiller historique : Élodie Tamayo.
Étalonnage : Julia Mingo.
Mixage : Mikaël Barre.
Montage, réalisation : Érik Bullot
Versions française, anglaise, espagnole.
 
Exposition Voyages en kaléidoscope, Centre d'art Les Tanneries, Amilly, 18 janvier 2025 -27 avril 2025.
 
Programmation Speculative Archives, programme proposé par Antonio Somaini, Université de Harvard et Université de Yale, États-Unis, 2024.